Le Rendez-vous de Chasse 


Le texte qui suit a été écrit par Paul Littoz Monnet de Doussard, employé à l'époque de l'entreprise Littoz Monnet François de Doussard comme maçon et manoeuvre.

Nous sommes au début de 1942, année de guerre avec occupation italienne, pas trop sévère car les militaires italiens avaient dans notre région de nombreux compatriotes travaillant dans les bois ou dans la maçonnerie. C'est à cette époque là que le RTM d’Annecy, dirigé par Monsieur Bouverot, Garde Général, mis en adjudication le rendez-vous de chasse.
Monsieur FAUBLEE, architecte à Morzine, fut chargé du plan et de la surveillance des travaux.
A l'adjudication furent retenus :
.pour la maçonnerie: l'entreprise Littoz Monnet François, entrepreneur maçon à Doussard ,.
.pour la charpente et la menuiserie: l'entreprise Bouvard Edouard de Doussard.
Les travaux de terrassement commencèrent en juillet 1942.
L'équipe de travailleurs logeait dans les baraquements du Plan du Tour (car la route à l'époque s'arrêtait à la Brédiaire) afin de ravitailler les espagnols des Brigades Rouges vaincues par Franco et qui travaillaient soit aux forêts, soit à la route.
Nous commençames à creuser à la pelle et à la pioche les fouilles de soutènement du chalet futur. Notre équipe était formée de gens du pays, soit :
Pierre Littoz de Doussard Paul Littoz de Doussard
Charles Cartier d’Arnand (Doussard)
Della Costa, italien à Doussard.
La cuisine était faite par une parisienne revenue à Doussard en raison de la guerre et des restrictions (Félicie Littoz Monnet). En plus de nos tickets de rationnement, nous allions au ravitaillement chez le chalaisan du Col de Chérel, Pierre Janin, maire de Jarsy. Il nous fournissait la bonne tome de Savoie, du beurre, et surtout du serrac (fromage fait de lait écrémé). Naturellement, lorsque les porcs montaient de Jarsy, le serrac nous était supprimé car le petit lait était leur nourriture! Nous descendions à Doussard le samedi après-midi à pied car il ny avait qu'un chemin muletier. Malgré tous ces ennuis, le moral était bon car nous n'avions pas de visites de l'occupant.
Les fouilles terminées, nous commençames le remplissage. Le béton était fait de gravier pris sur place et de ciment monté de Doussard par des charretiers de Jarsy. L'eau provenait de la cascade, près du radier actuel. Nous avions mis un fût de fer qui se remplissait tant bien que mal suivant le temps. Nous la transportions au chalet par le sentier qui arrive près de l'escalier actuel, nous la mettions dans des "brindes" à dos ou bouilles à lait, qui servaient alors à porter le lait à la fruitière. Nous faisions ensuite le mur de pierre sèche qui supporte le chalet (pierres de Doussard toujours transportées par les charretiers de Jarsy). Tout cela fut terminé en gros en septembre 1942.
L'automne 42 se passa, l'hiver et le printemps 43, et quand vint l'été nous remontames au chalet pour remplir l'intérieur du mur de soutènement. Pour moi, ce fut l'occasion de m'évader du village, car j'avais reçu ma convocation du STO (Service du Travail Obligatoire en Allemagne). Nous remplissions l'intérieur des murs avec du remblai pris dans le virage en dessus du chalet. Nous avions installé un wagonnet qui allait à l'aplomb du milieu des murs. Cela fut donc fait rapidement.
Juillet -Novembre 43. C'est à cette époque que l'entreprise Bouvard put commencer à poser la charpente. Celle-ci avait été taillée sur le chantier de l'usine Bouvard à Doussard par les trois frères Athurion de Verthier (Doussard). Au rendez-vous de chasse, l'effectif fut renforcé par les menuisiers du pays, soit Durier René (Arnand), Casali Angelo (Talloires), Tallin Roland (Verthier) et Isard Gabriel, réfractaire comme moi au STO. Leur cuisinier fut un Brunier de Marceau qui avait quitté Paris en raison de la guerre.
En août, les murs furent montés. Le cuisinier Brunier qui était un fin bricoleur prépara des échelles faites avec des sapinaux pris aux alentours ,. il fit également les échafaudages avec les mêmes sapins. Le montage du toit put alors commencer. Tout d'abord, il fallut tronçonner des sapins vers la Brédiaire, les faire monter par les charretiers jusqu'au chalet. Là, intervint un spécialiste des tavaillons : Pierre Dermaison de Marceau, qui s'occupait de tous les chalets d'alpages du secteur. Il montra aux charpentiers la façon de fabriquer ces tavaillons et ils en fabriquaient des quantités car cette couverture ancestrale exige un recouvrement de quatre épaisseur). L'automne, beau cette année là, permit de finir de couvrir le bâtiment le 9 novembre 1943.
Tout le monde redescendit à Doussard, où l'on parlait de l'occupation par les allemands de la zone libre. Les espagnols réfugiés se cachèrent les uns dans un refuge fait de terre dans le lieu-dit la Somme (Combe d'Ire). Beaucoup d'autres partirent pour les maquis des Glières, leurs noms sont nombreux sur le monument de Morette.
En 1944, l'entreprise Bouvard fit le sol du chalet en cubes de chêne, posés les uns à côté des autres.
En 1945, l'entreprise Littoz fit la cheminée intérieure d'une forme architecturale compliquée (Pierre Littoz et Cierron Bruno). Ils firent également l'escalier extérieur, avec marches en losanges.
En 1950 : l'entreprise Bouvard finit l'intérieur, le lambrissage. La route à cette époque arrivait au chalet. L'empierrement se faisait jusqu'au col. Les ouvriers Bouvard furent les premiers automobilistes à monter à Chérel. Pierre Janin n'en revenait pas voyant arriver leur Jeep. Il les regarda sans y croire et sans poser ses seaux qu'il avait dans les mains, il leur dit "Jamais de ma vie j'aurais cru qu'une auto monte ici".
Depuis ces dates, d'autres travaux ont été entrepris mais n'étant plus dans le bâtiment, je ne me rendait plus là-haut. Aidant entre saisons le garde ONF Déronzier Jean-Marie aux marquages des parcelles du domaine de l'Etat, je me suis aperçu que les tavaillons avaient été enlevés. Je ne puis citer l'année.
 
Tavaillons en attente d'utilisation, du coté de Notre Dame de Bellecombe
   
 
J'espère que ces renseignements vous auront plu, et ne vous étonnez pas si par hasard vous me rencontrez dans ces lieux avec mes souvenirs. "
Paul Littoz Monnet - Janvier 1995
 Le 25 octobre 1995, un repas commémoratif est donné à tous les participants de cette belle aventure.Ce fût une journée pleine de soleil et de nostalgie, témoin la photo prise à cette occasion.Passer sur la photo pour agrandir